Fragile, c'est du solide!

Une des meilleures téléséries de 2019 sort jeudi sur l’Extra de Tou.tv. Elle s’appelle Fragile et son auteur, Serge Boucher, y manie avec une dextérité (encore) impressionnante les codes accrocheurs du suspense psychologique.

 

 

Publié le 19 novembre 2019

HUGO DUMAS

LA PRESSE

Si vous avez craqué pour Feux, Apparences et Aveux du même scénariste, Fragile vous aspirera dans son tourbillon de secrets, de mystères et de bourrasques de neige, qui nous ramènent à nos racines nordiques, souvent oubliées par la télé québécoise.

 

J’ai dévoré hier les trois premiers épisodes de Fragile et si je n’avais pas eu à pondre cette chronique, j’aurais englouti les 10 heures sans cligner des yeux (vive les gouttes hydratantes). C’est prenant à ce point-là. C’est l’équivalent d’un « page turner » en littérature.

 

 

PHOTO FOURNIE PAR ICI RADIO-CANADA

Pier-Luc Funk et Marc-André Grondin dans Fragile

Fragile, c’est l’amitié improbable — et clandestine — entre deux jeunes hommes qui vivent dans une ville jamais nommée, qui s’apparente à Victoriaville. Dominic Couture (Pier-Luc Funk), 22 ans, exploite un garage, raffole de motoneige et provient d’un milieu populaire. Félix Bachand (Marc-André Grondin), 35 ans, sort de prison et tente de réintégrer sa famille bourgeoise, qui ne le porte pas dans son cœur.

 

D’ailleurs, quel crime Félix a-t-il commis pour croupir quatre ans derrière les barreaux ? Comment le chemin de Félix, qui s’adonne au vélo d’hiver, croise-t-il celui de Dominic, qui conduit un F-150 ? Trop en révéler gâcherait votre plaisir.

 

Et comme c’est du Serge Boucher, donc du texte touffu, soyez attentif à tous les détails de la série, dont les objets. Parfois, les personnages placotent pour meubler du temps, mais ils se révèlent dans chacune de leurs phrases, même les plus anodines. Les masques s’arrachent, la vraie nature ressort au détour d’un séjour dans un hôtel luxueux.

 

À l’instar de Xavier Dolan, Serge Boucher pose un regard bienveillant sur les gens dits ordinaires. S’exprimant dans une langue colorée et ultra-vivante, Valérie Blais et Sandrine Brisson campent respectivement les sœurs Nancy et Cynthia, les sympathiques propriétaires du resto du village. Sur leur menu, hamburger-steak, vols-au-vent au poulet et soupe à la coquille !

PHOTO FOURNIE PAR ICI RADIO-CANADA

Juliette Gosselin dans Fragile

Cynthia (Sandrine Bisson) garde un lien très particulier avec son fils Dominic (Pier-Luc Funk). La copine de Dominic, la belle Kim (Juliette Gosselin), travaille comme cuisinière au restaurant des deux sœurs. Et le clan des Couture se tient serré.

 

Ça joue aux washers, au Skip-Bo et jamais ça ne rate une danse en ligne le samedi soir. Le « vrai monde », les Couture l’incarnent avec une authenticité attachante.

 

Chez les Bachand, le portrait s’affiche plus complexe. Félix (Marc-André Grondin) a une demi-sœur cool, Camille (Monia Chokri), ainsi qu’un demi-frère psychorigide, Emmanuel (Maxime de Cotret). Tous gravitent dans l’orbite de Jean-Charles Lanthier (Christian Bégin), le riche beau-père de Félix qui exploite une usine de pâtes et papiers.

 

Puis, il y a Mireille Pépin-Lanthier (Isabelle Vincent), la mère de Félix, qui s’apprête à se joindre à un parti politique provincial.

 

Vous vous doutez que plusieurs des personnages de Fragile nous cachent des « choses », que nous découvrons avec bonheur au fil des épisodes.

 

Une des personnes au cœur de toutes les intrigues, l’homme de confiance Patrick dit Bazou (Martin Drainville), se balade entre les clans Couture et Lanthier depuis 30 ans. Il n’éveille pas de soupçons, mais il en sait manifestement beaucoup (trop).

 

Fragile s’amorce avec la fin de l’histoire. La Sûreté du Québec retrouve les cadavres de Félix (Marc-André Grondin) et de Dominic (Pier-Luc Funk) dans un fossé. À peu près personne ne savait que ces deux gars-là se connaissaient. La série remonte ensuite cinq mois auparavant pour expliquer dans quoi s’enracine cette tragédie familiale et amicale.

 

Après son Gémeaux pour Mémoires vives, Pier-Luc Funk cimente ici son statut d’acteur dramatique incontournable, capable de tout jouer. Il est épatant, tout comme Marc-André Grondin, dont le personnage, fan de l’écrivain Eckhart Tolle (Le pouvoir du moment présent), se reconstruit sous nos yeux.

 

L’hiver filmé par Claude Desrosiers est superbe dans Fragile. Et la trame sonore (Loud, Lisa LeBlanc, Charlotte Cardin) bonifie cette excellente production, que Radio-Canada ne relaiera pas à la télé traditionnelle avant «plusieurs mois».